Cette réflexion m’habite depuis quelques jours, depuis que j’ai décidé d’écrire un guide du bonheur. Comment entre­prendre cette tâche qui me semble simple et, en même temps, infinie et presque inabordable… Curieusement, le titre du cahier que j’ai choisi pour rédiger ces pages est « Réflexion », avec, en exergue, « Les meilleures et plus belles choses du monde ne peuvent être vues ni touchées… mais sont senties dans le cœur ! » C’est bien le cas du bonheur ! Peut-on en parler, le définir ? Ou toute tentative de le cerner avec le mental le fait-elle immédiatement fuir ?

Le bonheur ultime, et peut-être le seul vrai bonheur, est précisément le moment, l’espace, le vide entre les pensées. Quand le stress, l’agitation, la course de l’esprit cessent. Lorsque la friction, le mouvement, et les souffrances qu’ils engendrent, font place à la paix, au silence, à l’intemporel. On découvre alors un espace infini, au-delà des formes, au-delà du temps, un espace vide, mais, en même temps, riche de toutes les potentialités les plus belles et les plus folles… Cet espace est là, en nous. Pourtant, la plupart du temps – si ce n’est tout le temps – nous passons à côté, nous l’ignorons, nous ne voulons même pas le voir. C’est notre bien le plus précieux, notre vraie nature, ce que nous sommes vraiment ; la vie véritable, celle qui demeure dans l’éternité ; la douce musique du silence, la claire lumière du divin, les profondeurs insondables de l’âme…

Nous touchons à cette essence quand toute activité cesse, quand les perceptions extérieures disparaissent et que nous implosons pour rejoindre ce que nous avons toujours été… Tout le reste n’est qu’illusion, un rêve futile et fugitif auquel nous nous accrochons en vain, avides d’un bonheur impos­sible qui résulte du faire et de l’avoir… Nous ne pouvons nous épanouir que dans le non-faire et le non-avoir, dans l’être, dans le point immobile de l’instant qui se désincarne. Ce point est au centre de notre cœur, il est chaud, brillant et vaste comme l’espace, mais vide. Rien ne peut se matérialiser dans ce lieu saint. Seul l’amour est là, inépuisable. Il rayonne dans toutes les directions, efface toutes les idées, les croyances, les souvenirs, les craintes, les espoirs, qui appar­tiennent au passé et au futur. Il purifie les manifestations matérielles du monde de leurs souffrances et de leurs vaines illusions. Restons blottis dans cet espace protégé et magique, sans laisser sortir notre conscience à la poursuite du chant des sirènes et des formes enchanteresses qui déguisent les pièges dangereux et impitoyables de l’existence.

Résider dans l’espace du cœur ne nous empêche pas de contempler le film du monde avec ses images variées et colorées. Mais évitons à tout prix de les prendre pour la réalité et de nous engager à y jouer des rôles. Sinon le temps reprendra son pouvoir et nous conduira inexorablement à la vieillesse et à la mort, en traversant maints tourments. La seule solution est de rester, sans être distraits, dans ce point immobile autour duquel tournent sans fin les illusions de l’existence, mais qui n’est pas affecté par elles. Apprenons à nous concentrer en ce point, à le ressentir au milieu de la poitrine et y placer notre conscience, bien à l’abri des vagues et des tempêtes extérieures.

Installons-nous sur cette île, dans ce refuge qui est à l’intérieur de nous et, en même temps, au-delà de nous. Il contient l’univers entier avec tous ses êtres et ses phéno­mènes ; il est la source et le réceptacle de toutes ses lumières et de tous ses secrets. Gagnons ce havre de paix et n’en sortons plus. Puis accueillons dans ce lieu saint tous les êtres qui errent dans les turpitudes des illusions mondaines, mon­trons-leur l’endroit où la paix et le bonheur existent sans avoir besoin de les poursuivre à l’extérieur. Dans ce centre immobile du cœur est caché le plus grand des trésors. Il est à la portée de tous ceux qui prennent le temps de suspendre, pendant un instant, leur course folle après les chimères du monde, pour entrer, s’asseoir, et jouir du bonheur inexprimable de ce précieux moment d’éternité…

Réflexion sur le bonheur est le prologue du Guide du bonheur.

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